“ Le pouvoir d’agir vient collectivement lorsqu’on partage un intérêt individuel commun.” Saul Alinsky, père fondateur du community organizing
Nous sommes le 15 octobre 2024 et nous sommes retournés voir le Collectif Stop Violences Rabière à Joué-lès-Tours à l’occasion de Cap sur la Citoyenneté.
Joué-lès-Tours constitue l’une des 6 grandes étapes de mobilisation organisées par la Région Centre-Val de Loire, pour se rencontrer et faire réseau, partager les idées et échanger sur ce qui permettrait de faciliter l’engagement et la vie citoyenne sur les territoires.
Villes au Carré y organisait une visite inspirante pour rencontrer et échanger avec des femmes du collectif Stop Violences Rabière ainsi qu’avec Sylvie Lacroix, qui a été à leurs côtés ces dernières années au titre de son rôle de référente famille au centre social de La Rabière.
Revenons-en au Collectif Stop Violence Rabière. Vous savez, c’est ce collectif de mères qui se sont mobilisées face aux problématiques de violence dans le quartier de la Rabière. Si vous avez besoin d’un up-date, n’hésitez pas à découvrir le podcast et la fiche réalisées en octobre 2022 à partir des témoignages de Nora, Vanessa et Sylvie.
Nous avons donc retrouvé 2 membres du collectif : Nora et Nora, accompagnée de Sylvie.
Nora et Nora sont deux femmes qui étaient en colère face aux violences dans le quartier et qui, avec d’autres mères, ont créé Stop Violences Rabière il y a 6 ans.
Sylvie était référente famille au Centre Social de la Rabière au moment où tout a commencé.
Ce soir, on a donc (re-)découvert Stop Violences Rabière.
Les participant·es à la visite inspirante étaient vraiment très curieux de comprendre comment ces mères, étaient passées du « petit déjeuner du lundi matin » à la bibliothèque du centre social, au rassemblement de plus d’une centaine de personnes à des débats publics. Et les questions n’ont pas manqué.
« Comment vous vous êtes structurées ? » là, le rôle du centre social et la présence de Sylvie ont été déterminants. Sans un lieu pour se retrouver et une référente dédiée pour jouer un rôle important d’intermédiaire entre les besoins exprimés et leur concrétisation, pas de projet.
« Mais comment vous avez réussi à faire venir plus de cent personnes, ici-même, dans cette salle, pour discuter ensemble des violences qui sévissaient dans le quartier ? » À cette question, les initiatrices du mouvement ont répondu que le sujet dont elles souhaitaient parler était un sujet brûlant à l’époque. Il concernait directement les habitant·es, les jeunes, les parents, les passants, les associations, les commerçants… Il était important de l’évoquer avec toutes les personnes concernées. La préoccupation était commune. Il semblait urgent de de créer les conditions pour que chacun·e puisse exprimer son ressenti quel qu’il soit, sans étiquette et sans être jugé.
« Écouter sans commenter » est ce qui a permis de libérer et accueillir la parole et à chacun·e d’entendre le point de vue des autres. Ce qui a fait le succès en termes de fréquentation, c’est la liberté permise d’aller et venir. On pouvait venir voir, écouter, arriver quand on le souhaitait, repartir à tout moment, revenir… Cette liberté a facilité la participation de tout un chacun et notamment des jeunes.
Les informations circulaient de bouche à oreille très rapidement. Les mères du collectif, clairement identifiées étaient (et le sont toujours, d’ailleurs !) constamment sollicitées, même dans leur sphère privée.
Des débats, il y en a eu plusieurs, construits dans le temps. Avec toujours un nombre important de personnes participantes.
Les femmes de Stop Violences Rabière ont décidé de former un collectif et de se former aux méthodes d’animation empruntant à l’éducation populaire. Elles ont voulu faire venir des intervenant.es (juriste, sociologue...) qui pouvaient venir répondre aux questions que beaucoup se posaient sans avoir de réponse, ces intervenants répondant à un besoin identifié. Superbe ascension de leur pouvoir d’agir !
Notons que c’est ici que Sylvie a été un élément-clé de l’histoire et du développement du pouvoir d’agir de ces actrices : c’est elle qui a fait la passerelle entre le collectif et les acteurs extérieurs : comment et où aller chercher les intervenants, les partenaires, les associations, les institutions…
Les réunions publiques étaient déjà des actions concrètes en soi. Mais on entend bien le fond de la question posée : est-ce-que ces discussions ont entraîné d’autres formes d’initiatives ? Oui, il y a eu des manifestations par exemple, ce qui n’a pas été simple : il a fallu du courage pour manifester autour de sujets tabous ou encore se mettre physiquement entre les jeunes et les policiers quand ça chauffait dans le quartier !
"Oh oui !! beaucoup de tensions.” Les femmes de Stop Violences Rabière se sont senties silenciées lorsqu’elles soulevaient des sujets tabous comme la drogue par exemple. “Ça pouvait déranger, tant du côté des pouvoirs publics que des protagonistes du quartier…” Leur témoignage évoque qu'il a fallu beaucoup de courage pour faire face à ces tensions. Et développer des stratégies d’alliance : faire du lien avec d’autres acteurs d’autres quartiers par exemple.
Puis est arrivé le confinement lié à la pandémie du Covid en 2020.
D’un coup, le besoin, l’urgence, n’était plus tant de parler des violences que d’échanger autour des difficultés liées au confinement : « comment faire avec nos jeunes qui ont besoin de sortir et de se voir ? Comment on reste tous ensemble, enfermés dans nos logements ? Et la continuité de l’école à la maison, comment on fait ? Et le travail ? Comment on fait quand il n’y a plus de boulot ? etc... ».
Toujours sollicitées, les femmes du collectif se sont mobilisées autour de cette nouvelle situation, de ces préoccupations. Les femmes de SVR ont ouvert un groupe de discussion par téléphone (whatsapp) pour continuer d’être en lien, ne pas rester seules avec leurs questions face aux difficultés liées à cette situation inédite ; prendre soin les un·es les autres notamment en termes de santé mentale. En répondant à un nouveau besoin, le groupe est resté vivant et actif. Là où d’autres collectifs, structures, associations n’ont pas survécu à ce confinement, SVR s’est donc adapté.
À la sortie du confinement, SVR a joué un rôle essentiel pour les habitantes du quartier et leurs familles. Il est toujours constitué et réunit un noyau dur d’une vingtaine de femmes actives dans la vie de ce réseau. Avec le confinement, d’autres besoins ont donc été mis à jour, notamment concernant la santé mentale. Aussi, des membres du collectif ont continué de se former et ont choisi de monter en compétences sur ce sujet. Pour prolonger leur action dans le quartier, des femmes du collectif se sont formées à la première ligne de prise en charge des besoins en santé mentale.
Aujourd’hui, le collectif, cherchant à mener une action encore plus structurée pour répondre à un besoin dans le long terme, s’oriente vers l’ouverture d’un local pour ouvrir une permanence. Un lieu pour prendre en compte les besoins en santé mentale en première ligne. La lutte contre les discriminations sera aussi un sujet de prédilection pour la suite du projet.
Un scoop volontiers partagé lors de cette visite inspirante de Cap Citoyenneté : ces femmes sont en cours de création d’une association ! Mais elles continuent de garder un peu de mystère en ne dévoilant pas encore le nom de la future association...
En six ans, On est donc passé des « petits déjeuners du lundi matin » à une association qui souhaite pérenniser une activité répondant à un besoin identifié dans le quartier. Ces protagonistes, fortes d’une attention à répondre à des besoins vivants et donc évolutifs, ont adapté leur action, et fait évoluer leur réponse à la vie du quartier. Leur pouvoir d’agir a pu se développer grâce à leur conscience de leur légitimité d’intervenir en tant que citoyennes. Il a pu atteindre encore un stade supérieur grâce aux stratégies d’alliance, notamment avec le centre social en premier lieu, qui a interféré comme un « hub », un nœud de réseau en étoile, leur permettant d’entrer en relation avec nombre d’interlocuteurs et d’interlocutrices utiles à leur action.
Une initiative inspirante de pouvoir d’agir, comme Saul Alinsky* le mettrait en lumière : le pouvoir d’agir vient collectivement lorsqu’on partage un intérêt individuel commun.